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Tagadam Soins Soins
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17 août 2019

Aseptisé

aseptisé

« Neutre, impersonnel, dénué d'originalité » : voici la définition du dictionnaire.

 

Nous, les gens qui travaillons à l'hôpital, nous fréquentons différents locaux comme les chambres des malades qui sont nettoyées et désinfectées chaque matin, le bureau où nous passons le plus clair de notre temps à transmettre. Transmettre par écrit sur notre logiciel paramédical tout ce que nous avons observé, tout ce que nous avons pratiqué, tout ce que nous avons remarqué, puis par oral nous ferons comme une conférence à notre relève, à notre contre-équipe, nous relaterons que Mr X a été calme pendant la nuit mais qu'au réveil il était introuvable et une fois que les collègues de nuit ont mis la main dessus, il les a insulté puis est retourné dans son lit.

Il y a aussi le poste de soins, endroit exclusivement réservé au personnel soignant, ici Mr X ne rentre pas car il y a le lavabo et son savon qui pue la neutralité, la solution hydro-alcoolique qui fait que tes mains qui ont ton âge en paraissent dix de plus car on se lave les mains en entrant, en sortant, entre chaque soin, entre chaque patient, entre chaque préparation de perfusion, avant de mélanger les ions, les antibio, et pour les plus maniaques, dès que l'on touche une poignée de porte, un chariot, une épaule ou même un drap. Dans ce poste de soins où l'on emploie des mots que les stagiaires les plus jeunes ne connaissent pas mais avec le temps, ils emploieront les mêmes mots sans en connaître la définition : l'armoire de la CAMPS, la paillasse, les pipettes, les sets non-stériles, les Q-Syte, les polyo, les Sérum phy, les G5, les KCL, les stups (oui bon ça faut pas être sorti de la cuisse de Jupiter mais vrai de vrai y'en a qui ne savent pas qu'on a un tiroir à stup sous code qui donne accès à la clef, que ces traitements sont administrés sous condition de nom, prénom des administrateurs, prescripteurs, patients et qu'un inventaire est fait chaque semaine)

 

Il y a aussi les couloirs ainsi que les ascenseurs où ça va, ça vient tout le temps. Mille pieds y marchent et courent chaque jour et chaque nuit. Des baskets, des sabots, des tongs pour les plus sensibles à la chaleur. Pour ma part ce sont de bonnes Décath changées tous les six mois car j'ai le chic pour marcher dans des trucs que je n'oserais rapporter chez moi et mettre à la machine à laver. Une fois j'ai tenté de mettre mes pompes dans l'autoclave (tiens encore un nom que seuls nous nous connaissons), du 39 je suis passée au 33, j'ai fini en chaussures de ville, Dieu soit loué ce soir-là j'avais mes Pumas donc ça passait. J'ai prié pour ne pas marcher de nouveau dans la M...

 

Puis la salle de pause, où l'on va rarement mais quand on y va, il y a la grande table prête à accueillir 20 personnes à savoir les infirmiers, les aides-soignants, les agents hospitaliers, les cadres et pourquoi pas les médecins, mais nous n'y sommes jamais ensemble, nos plannifs étant toutes décalées. Cette salle est blanche comme nos tuniques, nos blouses et nos visages (et nos mains lavées à outrance). Il y a la cafetière qui nous fait tenir debout, la bouilloire pour ceux qui ne prennent pas de café (les extra-terrestres). Il y a l'évier en carrelage blanc lui aussi et le tableau Veleda avec les messages importants, les appels à candidature par exemple, ceux qui n'aboutissent jamais.

 

Bref, revenons à nos moutons, les aseptisés, nous les petites mains qui n'avons pour nous connecter une fois sur notre lieu de travail, qu'un « matricule » celui inscrit sur nos blouses, celui inscrit sur notre bulletin de salaire.

Dès le début de nos études on nous apprend à être « neutre » : pas de bijoux, une chevelure soignée, sans extravagance, une tenue identique pour tous, un statut précis marqué par une couleur autour de ton matricule : orange pour les infirmiers, jaune pour les aides-soignants, violet pour les agents hospitaliers, rouge pour les cadres, bleu pour les médecins. Point.

Moi je suis matricule 2203*** encadré d'orange.

J'ai les mains propres, abîmées, les cheveux attachés, parfois j'y mets une fleur pour ajouter de la gaieté à ce carré conventionnel où de dos, nous sommes tous pareils : blanc immaculé. Les hommes ont les cheveux courts, sont rasés de près et ont les mains tout aussi ridées, griffées, avec les ongles impeccables.

Dès les études on nous dit d'être neutre, que ce soit dans nos propos et dans nos actes. Nos tenues sont donc neutres, nos écrits aussi, on nous apprend à aseptiser nos émotions même si nous les ravalons chaque fois que nous nous retrouvons au volant pour rejoindre nôtre foyer.

S'il y a bien une chose qui n'est pas aseptisé à l'hosto, c'est nôtre cœur qui morfle. Sachez que vos mots, vos problèmes de santé, vôtre comportement, vos actes, tout ça nous l'absorbons malgré nôtre attitude neutre et dénuée d'originalité. Et nous sommes propres, droits, justes et tout en blanc pour atténuer les maux que nous apaisons, sans que personne ne se soucie de nous. C'est nôtre métier, pas le vôtre.

Aseptiques mais pas dénués d'émotions. Oui il existe des « couples de collègues », des coups de foudre amicaux car quand ça colle avec Sonia, Pascale, Manu et que tu as même pas besoin de parler pour lire dans ses yeux qu'il ou elle n'est plus très bien,n'est plus neutre et a mal, tu vas lui préparer un café et lui dire : « Laisse, je m'en occupe, va t'asseoir dix minutes »

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