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Tagadam Soins Soins
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21 octobre 2016

Ce soir je travaille

night nurse

Bosser la nuit : l'hôpital est un endroit où l'on ne s'arrête jamais. Accueil, écoute, soins, gestion des urgences vitales, gestion des urgences pas vitales, calmer les douleurs, rassurer les patients, apaiser leurs proches. Cela n'est pas réservé aux journées, c'est en continu, du lundi au dimanche, 24 heures sur 24. Il y a des équipes qui sont là la journée et des équipes de nuit. Parfois ça tourne, les agents de de jour viennent remplacer les gens la nuit. Ce qui permet de se rendre compte que la nuit, ce n'est ni plus calme, ni plus facile. Certes quand vient le soir les couloirs se vident, la majorité des patients s'endorment, le téléphone sonne beaucoup moins mais en revanche, certaines douleurs se réveillent (les pires), l'angoisse peut monter crescendo (jusqu'à atteindre son paroxysme), les personnes âgées perturbées le sont davantage voire inversent leur rythme en dormant en journée et en déambulant du coucher au lever du soleil, d'autres vont être en manque d'une substance à laquelle ils sont dépendants. Et bien entendu, les effectifs de personnel durant la nuit sont au minimum. Deux soignants par service, deux soignants pour vingt à vingt cinq personnes. C'est peu mais c'est comme ça.

Pendant ce temps, non seulement les prises en charges continuent mais il faut aussi assurer l'entretien des locaux, le rangement du matériel, la préparation des piluliers pour le lendemain, vérifier la disponibilité du linge pour les patients, leurs draps, les chemises ouvertes, les pyjamas, ainsi que les tuniques des agents. Trier, ranger, tout mettre en ordre, vider les poubelles et nettoyer les sols des bureaux, du poste de soins, des réserves, récurer les sanitaires et le vestiaire du personnel. La nuit, on ne dort pas, nous sommes loin de l'image que l'on se fait des veilleurs de nuit qui de nos jours sont tout sauf des veilleurs de nuit. Il n' a pas de secrétaire, pas de technicien informatique, pas de cadre de santé, pas de médecin, pas d'agent d'entretien, pas de médecin. Nous sommes donc soignant mais un peu tout cela en simultané.

Un interne de garde est joignable. Nous le bipons en cas d'urgence et il intervient sur l'ensemble des services de médecine et les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, soit environ une dizaine de services.

Bref, travailler la nuit, ça peut vite devenir galère !

20h45, transmissions. Il reste deux lits, deux personnes sont attendues, leur dossiers sont en passe d'être conclus aux urgences, ils seront montés quand ce sera prêt. D'accord. Les gens vont plutôt bien.

Un monsieur est rentré pour détresse respiratoire suite à un écart dans son régime sans sel, il a mangé un plat de moules (comment résister?). Il a stocké trop d'eau qui a envahi ses poumons. Hospitalisé. Pas bien du tout mais stable avec un apport en oxygène et un traitement qui lui fait éliminer toute cette eau en trop par les voies naturelles. En gros il va faire pipi toutes les dix minutes. Bien.

Une dame est tombée à la maison, c'est son voisin qui a donné l'alerte, elle était en train de crier. Les pompiers ont mis un quart d'heure à ouvrir la porte bloquée par une montagne de détritus. Femme incurique vivant dans un logement où les ordures n'ont pas vu l'ombre d'une poubelle pendant des années. Cette chute aura donc une conséquence bénéfique (pour les voisins surtout), les services sociaux vont organiser le nettoyage des lieux. Bien.

Une dame d'une soixantaine d'années, obèse (139 kg), souffre de douleurs incapacitantes, on doit tout faire à sa place, y compris la mobiliser dans son lit régulièrement pour ne pas que sa peau s’abîme et lui mettre en place le bassin. Tout cela au lit car elle ne se lève jamais. D'accord, je regarde ma collègue espérant qu'elle soit dotée de gros biceps mais non, des biceps on ne peut plus fins et féminins. Et moi avec ma lombalgie depuis le « porté de pépé récalcitrant » de la veille... On est mal barrées. Nos deux poids cumulés on est encore loin des 139 kg de la dame. Chouette, je connais un ostéopathe qui fait des miracles sur les lombalgies (MP si vous voulez son adresse). Bien.

Et Mr V. Le meilleur pour la fin, Mr V. et ses douleurs aux testicules depuis cet été. « Il ne consulte que maintenant ? »

« Non, non, il est suivi par deux centres anti-douleur, il a un médecin traitant qu'il voit régulièrement, il a eu tous les examens nécessaires : échographie, scanner, radios, consultation par le neurologue. Rien, pas d'étiologie à ces douleurs. »

Je demande quel est son traitement. Il a tout essayé, rien n'a fonctionné : paracétamol, codéine, morphine, kétamine, traitement des neuropathies... Rien ne le soulage. Ma collègue ajoute : « Ah ! J'ai oublié de te dire, il est psychotique, suivi en psychiatrie mais il ne veut pas y aller, il dit qu'il n'est pas fou. Il a des médicaments pour ses angoisses, un traitement de cheval, il a tout à disposition chez lui et prend un peu ce qu'il veut. Du coup les médecins ont éliminé plein de molécules, histoire de voir ce qui le soulage ou pas. » Ok, pour lui ça s'annonce compliqué. En attendant de voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, il va falloir évaluer régulièrement ses douleurs, avant et après traitement. J'en connais un qui ne va pas dormir beaucoup.

Et justement, nous entendons à l'entrée du bureau, un râle. C'est lui, il est appuyé sur le chambranle de la porte, les mains crispées sur le bas-ventre, la tête contre le mur. Je me lève et l'emmène dans le couloir, faire quelques pas l'aide à supporter ses souffrances. Nous marchons donc tant bien que mal. Je me vois lui demander de noter sur une échelle de un à dix combien il a mal mais je me doutais de sa réponse : « 10 enfin, ça se voit pas ! Appelez le médecin, celui que j'ai vu aujourd'hui n'a rien compris, il me faut de la morphine et du varium, de la codéine aussi, et je n'ai pas eu mes anti-dépresseurs, je ne dors pas sans mes anti-dépresseurs. Vous verrez, je vais vous emmerder toute la nuit ! ».

« Alors, le médecin que vous avez vu a pour objectif de faire le tri dans vos traitements, vous savez, vous en prenez beaucoup et certaines molécules quand elles sont prises ensemble s'annulent les une les autres. » Je brode, j'essaie de le convaincre du bien fondé de mes propos.

« Pff... Vous ne comprenez rien, je connais mes médicaments, je sais ceux qui font du bien ou pas, vous n'êtes pas moi. Appelez le médecin. »

« Je ne peux pas monsieur, le médecin ne doit être appeler qu'en cas d'urgence. On va essayer de trouver de quoi vous soulager, une poche chaude ? » (Une image me vient en tête, vous voyez?)

« Mais c'est une urgence ! Vous vous en foutez des gens qui souffrent ? » Il hurle. Il monte en pression, et non, je ne m'en fous pas des gens qui souffrent puisque je suis même prête à aller chauffer une poche dans le micro-onde trois minutes pour lui. Par là même je me ferais une petite tasse de café parce que chez moi, il n'y a que la caféine qui marche en cas de nuit démarrant sur des chapeaux de roues comme cela.

Pendant ce temps, ma collègue est partie voir le monsieur au plat de moules. Il est bien, il a de bonnes constantes, il est souriant avec ses lunettes à oxygène, il dit merci à chacune de ses attentions (chose rare apparemment en ce mois d'octobre à l'hôpital). On échange deux mots dans le couloir. Je lui explique ce qu'il se passe avec Mr V. Inutile, elle a tout entendu. Je lui propose d'échanger de patient, on rit, elle refuse. J'aurais fait pareil.

Sonnette : la dame de 139 kg. J'anticipe, j'appelle ma collègue et là je lui dis qu'elle ne peut pas négocier. Gants en poche et bassin sous le bras, on va mobiliser la patiente pour tenter de mettre ce bassin à peu près droit sous ses fesses. Deux tendinites, trois litres de sueur et 800 calories en moins plus tard, on peut enfin aller voir les autres patients. Mince, mon micro-onde, j'ai oublié la poche, je cours, je me brûle les doigts. Merde. Je ne vais pas lui donner la poche bouillante il est capable de la mettre là où il a mal et de m'accuser de maltraitance...

Deux silhouettes blanches au fond du couloir, elles s'approchent, entre elles, un brancard. Voilà une entrées des urgences. Bon, je m'en occupe, ma collègue va voir ceux que l'on n'a pas encore vus.

Brancard-lit, mon lumbago se manifeste de plus belle, la personne est gentille, tout sourire, perd son dentier et manque de l'avaler. On a frôlé le drame et moi, j'ai mis ma main dans sa bouche sans gants. J'ai envie de vomir, le dentier était crado... Mes collègues des urgences rient, je ne peux que rire avec eux. On se salue, se souhaite bon courage et se dit à plus tard pour la deuxième entrée. Je m'occupe de ce nouveau patient, rentre les données administratives dans mon PC, prend sa tension, sa température, vais préparer ses perfusions, ça roule. Une quarantaine de minutes plus tard je vais voir Sophie, ma collègue. Je lui demande comment elle a fait pour enlever le bassin de la dame toute seule.

« Le bassin !!! Elle est toujours dessus !!! »

On court, on rentre dans la chambre, on demande à la dame si elle a fini. Elle nous explique que non, que chez elle ça prend du temps. Ouf...

Je m'assure que tout le monde va bien auprès de Sophie, on va cocher les grilles de soins dans le bureau. A peine assises deux sonnettes : la dame qui a sans doute fini et le monsieur qui a mal. Négociation avec Sophie, qui va voir qui ? Je décide d'aller voir le monsieur, sa poche doit être au poil (sans mauvais jeu de mots). Elle est à bonne température en effet.

Je me fait accueillir avec un petit « Vous avez appelé le médecin, je souffre ? »

« Non, mais j'ai la poche chaude ça va vous soulager, installez-vous bien dans le lit monsieur. »

« Ça va pas marcher, appelez le médecin. »

Je pourrais continuer longtemps à décrire cette nuit mais ce ne serait pas vraiment intéressant puisque ça a été comme ça pendant dix longues heures.

Mettez au milieu une autre entrée, un cathéter arraché, un ajout de deux lits supplémentaires dans le service donc deux changements de chambre, un café pris avec les collègues du service d'à côté de 3h à 3h30, des litres de détergent pour récurer les locaux, la clef du bureau des médecins perdue, le monsieur au plat de moules qui a eu des difficultés respiratoires donc une prise de sang, une seringue électrique de Misorgan pour réguler sa tension à 27, cinq bilans sanguins à 6h, les transmissions avec l'équipe du matin. Nous avons rejoint le vestiaire à 7h30 au lieu de 6h45.

Ah oui, et nota bene : j'ai bipé l'interne de garde à 5h45 pour l'homme aux testicules douloureuses, il a eu droit à un traitement à l'efficacité redoutable : le placebo.

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