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Tagadam Soins Soins
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17 octobre 2016

Les deux dates où l'on devrait poser des RTT

 

interne 2

Non, ce n'est ni Noël, ni le nouvel an, ni notre anniversaire. Les deux dates auxquelles tous les infirmiers exerçant dans un Hôpital Universitaire connaissent un véritable tsunami, une angoisse palpable, un cauchemar éveillé sont :

Le 2 mai et le 2 novembre...

L'arrivée des nouveaux internes. Le début de leur semestre, l'enfer.

On s'était habitué aux internes du semestre précédent, on les avait bien imprégné des habitudes du service, on avait réussi à créer des liens. On prenait un café ensemble tous les matins à 8h30 avant que les chefs n'arrivent. On parlait musique et tatouages entre deux visites. On est même allé ensemble au restau pour fêter leur départ, on sait qu'ils vont nous manquer. Et puis les nouveaux, comment vont-ils être ? Où en sont-ils dans leur cursus ? Premier semestre (des bébés) ? Fin de parcours (yes!) ? Est-ce qu'ils connaissent le logiciel de prescription que nous utilisons ici ? Est-ce qu'ils ont déjà fait un semestre dans un service de cet hôpital ?

Mille et une questions auxquelles nous ne pourrons répondre qu'à 9h. Ils arrivent à 9h, pas un quart d'heure avant histoire de repérer où sont leurs blouses, non, 9h pétante, alors que c'est l'heure à laquelle doit théoriquement commencer le staff. Premier jour ils nous retardent d'emblée.

 

« Excusez-moi Madame, je suis interne, je dois me changer où ? »

 

Madame... Il commence fort lui. À peine arrivé il me met dix ans dans la face alors qu'il est quoi ? Cinq ou six ans plus jeune que moi ? (J'apprendrai quelques semaines plus tard qu'en fait il a onze ans de moins, outch...)

 

« Bonjour, on peut se tutoyer hein, moi je suis infirmière. Tu peux te changer dans le bureau au fond du couloir à droite, il y marqué médecins sur la porte. »

 

Trente secondes plus tard même chose avec une petite brune perchée sur des hauts talons vernis. Je me dis tout bas qu'elle va vite changer de chaussures quand ses talons auront trempé dans l'urine ou le vomi d'un patient...

Puis le troisième arrive, pas loin de deux mètres, les cheveux longs (plutôt pas mal!). Puis le quatrième (ils sont combien?), même question, mêmes indications, je vais dans une chambre, ils n'ont qu'à aller demander à quelqu'un d'autre. Ils sont où les autres d'ailleurs ? Cachés dans les chambres, ils ont anticipé contrairement à moi.

Les chefs ne sont pas encore là, eux aussi redoutent ces dates. Ils arrivent avec cinq minutes de retard (ça c'est tous les jours, pas seulement les 2 mai et 2 novembre). Et ils ont bien raison, si j'en avais la possibilité, je le ferais aussi.

9h15, staff. Nous sommes une dixaine ratatinés dans le bureau surchauffé.

Présentations, moi c'est déjà fait, sourire complice des jeûnots. Ils sont « cocos » avec leur feuille de transmissions posée sur leurs genoux, le stylo quatre couleurs dégainé, j'observe leur attitude. Certains se connaissent déjà d'un stage précédent ou sont collègues de promo. Ils n'écoutent pas, se font des private joke. La fille avec ses hauts talons quant à elle est très concentrée, elle ne sait pas comment mettre ses jambes, inconvénient de la tenue plus appropriée à la fashion week qu'au staff où les chaises pliantes cotoient les cartons de dossiers et les tours d'ordinateur poussiéreuses. Petit sourire gêné quand ma basket puante vient à cogner son mollet gainé dans un joli collant noir brillant.

Bruit de bouche du chef agacé par le brouhaha régnant : « Tss ! ». Silence. Re-sourire complice. Le staff continue, on n'a rien écouté. La visite peut commencer, il est 10h30, soit une demi-heure de retard par rapport aux autres jours. Les internes s'approprient les lieux, nous demandent nos prénoms (qu'ils ne retiendront pas avant quatre ou cinq jours). Nous, qui sommes habitués à retenir les noms des patients, nous connaîtrons vite les leurs sauf que Sébastien s'appelle en fait Stéphane et que nous appellerons Agnès, Sylvie et inversement. Vous suivez ? Non ? Moi non plus.

C'est parce que c'est toujours comme ça les 2 mai et 2 novembre qu'il vaut mieux poser des RTT ces jours là. Bien que ça ne dure pas qu'un jour, ça dure minimum une semaine. Les visites se font tard, les relevés de visites ne sont pas bouclés avant l'arrivée de la relève, ça s'énerve parce qu'on n'arrive pas à prescrire les anticoagulants et les bilans sanguins, ça prescrit des examens inconnus au bataillon qu'on ne fait pas habituellement, qu'on met trois plombes à chercher sur le bon de biochimie alors qu'en fait il est sur celui de virologie, on ne sait pas qui s'occupe de qui, qui est de garde ou en repos de garde. Bref, c'est le bordel !

Certains internes ont vite compris qu'il valait mieux avoir l'infirmier comme allié plutôt que comme ennemi. Se mettre l'infirmier à dos c'est dire adieu aux précieux conseils concernant le pansement complexe de Madame X. « Tu mets quoi toi là-dessus, que je te le prescrive »

« Urgozull ou Intrazut selon la fibrine »

« Ok, t'écris ça comment ? »

C'est prendre le risque d'avoir des remarques du genre : « Ici on prescrit le Luvenix à 10h, tu l'as prescrit à 11h40, tu changes »

« Le courrier de sortie de Monsieur Untel n'est pas encore prêt ? Ca fait deux jours qu'on sait qu'il part aujourd'hui ! Faut que tu le fasses avant 13h30. Il est 13h25, tant pis tu iras manger après, tu fais le courrier et tu n'oublies pas le bon de transport, assis le transport, si tu met allongé alors qu'il marche les ambulanciers vont gueuler. »

Avoir l'infirmier dans sa poche c'est aussi pouvoir compter sur lui pour pouvoir poser des cathéters veineux (dispositif médical pour injecter les perfusions) ou pour prélever des gazométries (prise de sang directement dans l'artère du poignet pour mesurer les taux d'oxygène et de dioxyde de carbone), gestes plutôt techniques que font assez rarement les internes sauf à leur demande.

 

Quand un interne vient te voir discrètement dans le poste de soins et te dit qu'il va t'« aider » à poser le cathéter du patient, tu sais... Tu sais que tu vas devoir lui expliquer le truc pendant cinq minutes, qu'il va chercher une veine pendant trois minutes, qu'il va se planter dans les étapes de la décontamination en trois temps, qu'il va claquer la (seule) veine du patient et que tu vas devoir reprendre cinq minutes derrière pour rattrapper sa boulette. Bref, il te faut une demi-heure pour un soin qui dure en moyenne sept minutes trente. Et quand il a enfin réussi à nouer son garot et que tu lui dis :

« Alors là tu vois, moi si j'étais toi je piquerai cette veine là, elle est bien dure et bien droite. » Qu'il te regarde bizarrement et qu'il se met à rire tellement ta phrase est tendancieuse, tu es obligé de rire toi aussi. Ca y est, le contact est établi, le semestre va va être cool en fait !

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