Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tagadam Soins Soins
Tagadam Soins Soins
Publicité
Archives
15 octobre 2016

Monsieur H.

 

psycho

6h30, heure à laquelle débutent les transmissions avec l'équipe de nuit. Il pleut dehors, il fait encore nuit. Le service est plein, les patients sont arrivés la veille, dimanche ou dans la nuit. Quatrième chambre, ma collègue n'a pas commencé à me parler du patient qui l'occupe mais j'ai déjà relevé sa date de naissance, un « jeune », de trente et quelques années, j'ai déjà lu ses antécédents. Un jeune qui est hospitalisé ça nous fait toujours être plus curieux de son histoire, comme si dépassé un certain âge, c'était logique d'être hospitalisé, et inversement, en dessous d'un certain âge, il faut être sacrément malchanceux.

Malchanceux, c'est ainsi que j'ai étiqueté ce patient au vu de ses antécédents médicaux, il en a peu, un seul pour être exacte, mais quel fardeau... Schizophrène, hospitalisé à la demande d'un représentant de l’État. Qu'est-ce qui a bien pu le conduire ici ? En médecine. Est-il dangereux ? Risque-t-il de se faire du mal ou de nous faire du mal ? Ma collègue me dit que la nuit s'est bien passée, il a pris ses médicaments sans broncher, il est calme, il est stable, il a bien dormi. Il était en service fermé de psychiatrie et s'est mis à vomir tripes et boyaux, son bilan sanguin est perturbé, il a donc été transféré en médecine pour que les explorations fonctionnelles et biologiques soient approfondies. Une échographie abdominale a montré des ganglions dans son abdomen. Moche : son système lymphatique déraille, il a probablement un problème hématologique, en d'autres termes, un cancer.

Aucune information concernant son hospitalisation sur la demande d'un représentant de l’État, ce sera ma mission du jour, savoir pourquoi une telle procédure (rarissime).

Je prépare mon matériel, mes traitements, mes perfusions, je vais distribuer mes traitements et comme à chaque fois qu'un patient nécessite plus de temps que d'autres, je décide de terminer par lui pour qu'il bénéficie de ces précieuses minutes.

Or, habitué à avoir ses médicaments à 7h, il est arrivé sans faire de bruit à la porte du bureau infirmier. Il se tient là, debout, un sourire gêné sur la figure et me demande de l'excuser de me déranger. Il m'a fait un peu peur, il est grand, maigre, les cheveux longs coupés au carré, une chemise blanche et un pull bleu par dessus. Il a de grands yeux verts, un regard clair, expressif, il a l'air triste malgré son sourire aux dents abîmées par le tabac et les médicaments. Je ris nerveusement, je suis seule et j'avoue, j'aurais aimé que mes collègues aides-soignants soient dans mon champ de vision. Ils ne sont pas là, ils sont occupés dans les chambres. J'ai une manie le matin quand il fait encore nuit, je travaille dans la pénombre, rapport à des maux de tête provoqués par la lumière crue des néons de l'hôpital. Là, je regrette cette sale habitude, l'atmosphère est digne d'un film d'horreur. Qui me dit qu'il n'a pas un rasoir ou une hache planquée dans le dos ? Qui me dit qu'il ne va pas m'étrangler dans ce maudit bureau sans que personne ne voit rien, n'entende rien et qu'il s'en ira ensuite librement en empruntant comme tout le monde la sortie au bout du couloir ?

Du calme, je lui explique que je prépare tout ce qu'il faut et que je viens le voir dès que j'ai fini. Il repart aussi silencieusement qu'il était arrivé, je m'aperçois qu'il est en chaussettes et qu'il n'a ni rasoir, ni hache dissimulée dans le dos.

Je commencerai mon tour par lui. Histoire de lui donner ses anxiolytiques, qu'il voit que je l'ai écouté et que j'ai bien entendu sa demande.

Au moment de frapper à sa porte il a la main sur la poignée puisqu'au premier coup, la porte s'ouvre. Il sourit, tend la main, me demande ce que c'est comme médicaments. Je lui dis et lui demande s'il a mal quelque part. Il répond que non, qu'il sait qu'il a des ganglions dans le ventre mais que pour l'instant ça ne le dérange pas, il les sens quand-même se propager, jusque dans ses bras, il veut donc avoir des antibiotiques pour stopper la propagation.

De ce discours atypique je retire approximativement ce qu'il peut ressentir, comment il perçoit à peu près les choses. Mes rudiments de psychiatrie m'ont laissé comme souvenir que le rapport au corps chez une personne schizophrène est complètement différent de celui d'une personne lambda. Il voit ses ganglions si petits soient-ils comme des corps étrangers envahissants son ventre, grossissant à une allure surnaturelle, il a tellement conscience de ces corps étrangers qu'il va jusqu'à les sentir grandir tels des insectes grouillant jusque dans ses bras. Ce sentiment doit être terrifiant pour lui, si terrifiant qu'il en devient somatique, physique. Son discours se disloque, je vois son regard rieur se noircir. Je reste un peu avec lui, la porte ouverte (mes collègues sont enfin dans mon champ de vision). Je lui parle sans arrêt pour essayer de le rassurer, je lui conseille de prendre ses anxiolytiques qu'il ne voulait pas prendre car pour lui un antibiotique était plus adapté. Je lui détaille la liste du contenu de son gobelet en plastique et lui dis le nom exact de l'antibiotique ultra puissant, à large spectre, qui va sans doute le soulager. Je ne lui mens pas, je vois bien qu'il est intelligent et qu'on peut difficilement la lui faire à l'envers. Il coopère, avale d'un trait les traitements et me demande s'il y a la wi-fi, pour aller faire des recherches sur l'amoxicilline et l'acide clavulanique (j'en étais sûre!)

Environ une heure après, il revient me voir, me demande si nous avons un sèche cheveux. Mes collègues aides-soignants s'affairent et trouvent son bonheur. Ils lui offrent même une brosse à dent et de la mousse à raser. Il nous annonce fièrement qu'il se sent beaucoup mieux et qu'il va prendre une douche.

Il nous fait penser à un enfant fier d'annoncer qu'il va se laver tout seul. Nous rions avec lui.

J'en profite pour appeler un infirmier du service de psychiatrie où il était hospitalisé d'office. Celui-ci m'explique que le patient n'a jamais au grand jamais été agressif, il était tout simplement dans un déni total de ses troubles et refusait donc de se soigner. Sa mère étant elle-même affectée par de graves troubles ne le soignait pas non plus sinon en allant voir des « guérisseuses » . L'hospitalisation sur demande d'un représentant de l’État a donc été la seule solution pour qu'enfin il puisse bénéficier d'un suivi médical.

Quand il ressort de sa chambre il est coiffé, a des vêtements propres, une chemise bleue et un gilet bordeaux. Il a envie d'un cappuccino tellement il se sent bien. Nous lui disons que nous n'en avons pas mais qu'il peut descendre à la cafétéria s'il a des sous. Il en a, quarante euros. Combien ça coûte un cappuccino ? Je ne sais pas trop, mais moins de cinq euros. « Ok, je reviens tout de suite après, promis. »

Mes collègues et moi le regardons s'éloigner, on lui dit à plus tard gaiement, il se retourne et nous fait de grands signes, il a l'air heureux, ses yeux sont de nouveau rieurs.

Téléphone, c'est l'hématologue. Notre médecin n'est pas disponible, il me laisse un message, je note : « Mr H., le jeune psychotique que vous avez accueilli cette nuit, je confirme, lymphome. »

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité