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Tagadam Soins Soins

Tagadam Soins Soins
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17 août 2019

Aseptisé

aseptisé

« Neutre, impersonnel, dénué d'originalité » : voici la définition du dictionnaire.

 

Nous, les gens qui travaillons à l'hôpital, nous fréquentons différents locaux comme les chambres des malades qui sont nettoyées et désinfectées chaque matin, le bureau où nous passons le plus clair de notre temps à transmettre. Transmettre par écrit sur notre logiciel paramédical tout ce que nous avons observé, tout ce que nous avons pratiqué, tout ce que nous avons remarqué, puis par oral nous ferons comme une conférence à notre relève, à notre contre-équipe, nous relaterons que Mr X a été calme pendant la nuit mais qu'au réveil il était introuvable et une fois que les collègues de nuit ont mis la main dessus, il les a insulté puis est retourné dans son lit.

Il y a aussi le poste de soins, endroit exclusivement réservé au personnel soignant, ici Mr X ne rentre pas car il y a le lavabo et son savon qui pue la neutralité, la solution hydro-alcoolique qui fait que tes mains qui ont ton âge en paraissent dix de plus car on se lave les mains en entrant, en sortant, entre chaque soin, entre chaque patient, entre chaque préparation de perfusion, avant de mélanger les ions, les antibio, et pour les plus maniaques, dès que l'on touche une poignée de porte, un chariot, une épaule ou même un drap. Dans ce poste de soins où l'on emploie des mots que les stagiaires les plus jeunes ne connaissent pas mais avec le temps, ils emploieront les mêmes mots sans en connaître la définition : l'armoire de la CAMPS, la paillasse, les pipettes, les sets non-stériles, les Q-Syte, les polyo, les Sérum phy, les G5, les KCL, les stups (oui bon ça faut pas être sorti de la cuisse de Jupiter mais vrai de vrai y'en a qui ne savent pas qu'on a un tiroir à stup sous code qui donne accès à la clef, que ces traitements sont administrés sous condition de nom, prénom des administrateurs, prescripteurs, patients et qu'un inventaire est fait chaque semaine)

 

Il y a aussi les couloirs ainsi que les ascenseurs où ça va, ça vient tout le temps. Mille pieds y marchent et courent chaque jour et chaque nuit. Des baskets, des sabots, des tongs pour les plus sensibles à la chaleur. Pour ma part ce sont de bonnes Décath changées tous les six mois car j'ai le chic pour marcher dans des trucs que je n'oserais rapporter chez moi et mettre à la machine à laver. Une fois j'ai tenté de mettre mes pompes dans l'autoclave (tiens encore un nom que seuls nous nous connaissons), du 39 je suis passée au 33, j'ai fini en chaussures de ville, Dieu soit loué ce soir-là j'avais mes Pumas donc ça passait. J'ai prié pour ne pas marcher de nouveau dans la M...

 

Puis la salle de pause, où l'on va rarement mais quand on y va, il y a la grande table prête à accueillir 20 personnes à savoir les infirmiers, les aides-soignants, les agents hospitaliers, les cadres et pourquoi pas les médecins, mais nous n'y sommes jamais ensemble, nos plannifs étant toutes décalées. Cette salle est blanche comme nos tuniques, nos blouses et nos visages (et nos mains lavées à outrance). Il y a la cafetière qui nous fait tenir debout, la bouilloire pour ceux qui ne prennent pas de café (les extra-terrestres). Il y a l'évier en carrelage blanc lui aussi et le tableau Veleda avec les messages importants, les appels à candidature par exemple, ceux qui n'aboutissent jamais.

 

Bref, revenons à nos moutons, les aseptisés, nous les petites mains qui n'avons pour nous connecter une fois sur notre lieu de travail, qu'un « matricule » celui inscrit sur nos blouses, celui inscrit sur notre bulletin de salaire.

Dès le début de nos études on nous apprend à être « neutre » : pas de bijoux, une chevelure soignée, sans extravagance, une tenue identique pour tous, un statut précis marqué par une couleur autour de ton matricule : orange pour les infirmiers, jaune pour les aides-soignants, violet pour les agents hospitaliers, rouge pour les cadres, bleu pour les médecins. Point.

Moi je suis matricule 2203*** encadré d'orange.

J'ai les mains propres, abîmées, les cheveux attachés, parfois j'y mets une fleur pour ajouter de la gaieté à ce carré conventionnel où de dos, nous sommes tous pareils : blanc immaculé. Les hommes ont les cheveux courts, sont rasés de près et ont les mains tout aussi ridées, griffées, avec les ongles impeccables.

Dès les études on nous dit d'être neutre, que ce soit dans nos propos et dans nos actes. Nos tenues sont donc neutres, nos écrits aussi, on nous apprend à aseptiser nos émotions même si nous les ravalons chaque fois que nous nous retrouvons au volant pour rejoindre nôtre foyer.

S'il y a bien une chose qui n'est pas aseptisé à l'hosto, c'est nôtre cœur qui morfle. Sachez que vos mots, vos problèmes de santé, vôtre comportement, vos actes, tout ça nous l'absorbons malgré nôtre attitude neutre et dénuée d'originalité. Et nous sommes propres, droits, justes et tout en blanc pour atténuer les maux que nous apaisons, sans que personne ne se soucie de nous. C'est nôtre métier, pas le vôtre.

Aseptiques mais pas dénués d'émotions. Oui il existe des « couples de collègues », des coups de foudre amicaux car quand ça colle avec Sonia, Pascale, Manu et que tu as même pas besoin de parler pour lire dans ses yeux qu'il ou elle n'est plus très bien,n'est plus neutre et a mal, tu vas lui préparer un café et lui dire : « Laisse, je m'en occupe, va t'asseoir dix minutes »

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17 juin 2019

Aaaah...

coeur

Il est intouchable, non palpable et pourtant il te caresse, te rend heureux, te donne des papillons partout, des étoiles plein les yeux.
Parfois il te touche en plein cœur, pour le gonfler ou le faire exploser. Aujourd'hui j'ai lu un texte, quelques mots qui ont raisonné, qui ont fait échos, qui ont réveillé le chaos.

C'est quoi ? C'est qui ? Ce n'est rien ni personne mais c'est tout à la fois. Il est où ? Il n'est nulle part et partout à la fois, tu te sens seul et tu te dis que ça n'est pas pour toi. Ta maison est silencieuse quand tu rentres le soir, ton lit vide le matin et personne pour te demander si tu as bien dormi, si tu veux un café, personne à qui relater ta journée, personne à qui offrir un sourire et souhaiter une bonne nuit. Les mots que j'ai lu m'ont amenée à y penser.

Je n'ai pas de conclusion ce serait trop radical. Je vois bien quelques signes ici et ailleurs et ces signaux subliminaux, abstraits, de fumée, me font espérer. Ne dit-on pas que l'espoir fait vivre ? Non, l'espoir ne fait pas vivre, il fait attendre. L'espoir fait vivre dans le passé car on espère toujours retrouver ce que l'on a connu. On ne devrait pas avoir d'espoir, on devrait le casser en deux cet espoir et là, maintenant, oui tout de suite parce qu'on ne sait pas combien de temps mère Nature nous accorde.

On est obligé de voir que l'amour est partout autour, loin, à côté, à l'intérieur d'un kinder. Nous sommes tous des Kinder. On a tous des jouets à l'intérieur, encore faut-il savoir les monter. Niveau grande section mais moi je galère tout le temps, pourtant ça fait longtemps la grande section.

Hier soir j'ai fait sourire quelqu'un (dans le cadre de mon travail), quelqu'un qui n'était pas bien, qui voulait en finir parce qu'il avait perdu l'amour de sa vie. Je me suis assise en face de lui, je n'ai rien dit, je le regardais. Il a parlé, parlé, parlé, je n'ai pas vu que l'heure tournait. Je buvais ses souvenirs, sa tristesse, sa détresse, puis son discours a changé, il ne s'est plus centré sur ses problèmes, il m'a demandé si j'en avais, moi, des problèmes. Je n'ai pas voulu basculer vers la banalité et lui dire « Oui, comme tout le monde », je lui ai dit que j'en avais eu, des différents des siens et que j'en aurais sûrement d'autres. Il a bien essayé de savoir de quoi je parlais mais réserve oblige, je suis restée évasive. Pas une confidence, pas un geste, le regard toujours fixé dans le sien et un réhaussement de babine par-ci par-là. Il l'a vu, l'humidité qui commençait à monter vers mes globes oculaires, il l'a vu que je me suis levée et que telle Wonder Woman j'ai fait 100 tours secondes pour ré-endosser ma blouse blanche et afficher LE sourire Dentifrice puis il a dit : « Allez, barrez-vous, maintenant. » Je me suis barrée, en lui soufflant un petit : « Ahhh punaise, j'ai cru qu'on en finirait jamais » accompagné d'un clin d’œil.

Il a rit, moi aussi, on s'est souhaité bonne nuit puis on s'est dit à demain pour un café commun.

13 février 2019

Tout sauf le lit...

 

lit baldaquin

8h45, les talons de mes bottes font « cloc, cloc, cloc, cloc » sans relâche jusqu'à la porte coupe-feu du local. Aujourd'hui je ne suis pas dans mon service, je ne chausserai pas mes baskets, je n'enfilerai pas ma tunique ni mon pantalon à élastique qui descend tout le temps et que je remonte sans arrêt sans même m'en rendre compte. Accroupie pour prendre un pilulier, quand je me relève (en pensant à mes quadriceps de rêve), je relève en même temps mon pantalon, accroupie pour une prise de sang, quand je me relève (en pensant à mon genou qui vient de grincer), je relève mon pantalon, accroupie pour prendre une poche de polyonique glucosé, quand je me relève (en pensant à mon fessier de Beyonce), je relève ce fichu pantalon et ainsi va la journée dans cette tenue toujours impeccable au début, aux tâches suspectes à la fin, si suspectes qu'on se demande qu'est-ce que ça peut bien-être et comment on s'y est pris pour que ça arrive à cet endroit là : un trait marronâtre sur l'épaule, une auréole écrue au dessus de la cheville ou encore plus suspect, une bonne tâche que tout le monde a vue sauf toi au niveau des fesses (cette fois c'est loin du popotin de Beyonce!)

 

Cloc, cloc, cloc, je rentre dans le bureau. Je pense aux vestiaires que je rejoindrai dès demain. Demain c'est la Saint Valentin. Moi je la passerai avec mes collègues, ceux avec qui je partage tout. Les rires gutturaux, les fou-rires de sorcière, les chants à tue-tête qui te viennent à l'esprit dans n'importe quelle situation...

 

« Karine, tu me donnes un crayon ? »

 

Je te donne toutes mes différences, tous ces défauts qui sont autant de chance

On s'ra jamais des standards, des gens bien comme il faut

Je te donne ce que j'ai ce que je vaux

 

Il faut mettre les perf de Me C., j'ai besoin d'aide parce que je risque de me prendre un coup. Me C, sourit et répond aux questions sans poser de problème mais dès qu'on approche de trop prêt, ça peut partir comme ça, sans alerte. Ma collègue, E., a les bras plein de matériel, je l'aide sans qu'elle ne me le demande, elle vient me prêter main forte sans qu'un mot ne soit sorti de ma bouche, on se comprend rien qu'en se regardant, ça tourne comme ça à l'hôpital, parfois on aimerait que ça tourne comme ça à la maison aussi.

 

On parle d'autre chose, on détourne un peu l'attention de Me C., pour qu'elle vive le soin autrement qu'un placage contre la barrière de sécurité, un passage de compresse glacée sur la peau, celle-ci pincée fermement pour y planter un cathéter, y coller un pansement qui va gratter et envoyer le polyonique en comptant machinalement les gouttes.

Bim ! Le coup part ! Je reste concentrée car j'ai mon aiguille dans la main, dangereusement orientée vers le visage d' E. « Je ne voudrai pas que tu deviennes borgne »

 

Born, Born to be alive, Born to be alive

 

Et c'est parti ! On l'entendra jusqu'à la fin de la journée, à moins qu'une autre chanson nous rentre dans le crâne. On rit, le cathéter est en place, j'aide E. à faire le lit de la voisine. Il y a des tâches sur le lit, rien qu'en regardant les draps on sait ce que la dame a eu au petit déjeûner : café, pain beurre.

 

Couleur, café, que j'aime ta couleur, café

 

 

Voilà, le tour va continuer ainsi, à partager les corvées, à partager des conversations, à partager des rires ou des choses moins drôles, à partager un café et quelques chocolats apportés par la famille de Mr R. qui s'en va demain

 

Chaud, cacao, chaud !chaud !chaud !chocolat !

(Elle revient souvent celle-là!)

 

On va partager aussi les cris des gens qui ne se sentent pas bien, les plaintes de ceux qui ne font que ça, se plaindre (nous aussi on a des râleurs professionnels dans l'équipe d'ailleurs), on va partager le repas. Puis à la fin de notre journée, on partagera tout ce qui s'est passé avec la relève, avec la « contre-équipe », on va se charrier, parfois se complimenter sur une coupe de cheveux ou une paire de boucles d'oreilles. On fait tout ensemble, même les fêtes, Noël, notre anniversaire, la galette des rois, nos tuniques et nos pantalons à élastique qui ne tient pas sont lavés au même endroit, on s'habille et se déshabille dans le même vestiaire en continuant de pipeletter, une vraie « famille » avec ses habitudes et ses rituels.

 

On partage tout à l'hôpital, tout finalement, sauf le lit !

9 mars 2018

#pluie

Fortnite

 

À la maison, un jour de vacances avec les nains, un jour de pluie. Foot pour le grand le matin, je vais le chercher à midi.

« Qu'est-ce que tu veux faire cette après-midi mon lapin ? »

« Je sais pas, peut-être prendre un bain puis manger, tu veux jouer aux jeux vidéo avec moi ? Je peux te créer un personnage et on essaie ! »

Oula, ma dextérité et mon agacement face à mon manque de réactivité dans ce type de jeu me poussent à dire non. La pluie et le manque de motivation pour récurer la maison pour la septième fois de la semaine (on est vendredi) me suggèrent de dire oui.

« Il y a des personnages de fille viking ? »

« Nan mais il y en a une habillée en chevalier. »

Hashtag Brienne de Torth.

Hashtag pourquoi pas.

Salle de bain, repas, le grand est très motivé pour finir ses raviolis et me créer mon personnage. Moi je traîne en finissant mon assiette et en débarrassant la table, je crains de le décevoir et de me ridiculiser tant je suis nullissime en jeux vidéo... Allez il s'impatiente, il est trop content de m'initier à son jeu favori. Je regarde les tenues, l'armure est effectivement celle qui me plaît le plus, je check. Il faut choisir un sac à dos.

« On peut mettre quoi dedans ? »

« Rien, c'est juste un skin »

« Un skin ? On peut même pas mettre une pomme-pote? »

On rigole, mon grand s'assure que le casque n'est pas branché au cas où je parle de pomme pote dans mon sac à dos en pleine partie devant des gamers. Ça me fait sourire. Il m'explique un peu les boutons sur lesquels je dois appuyer pour avancer, pour sauter, pour courir, pour ramasser des objets, pour viser, pour tirer. Ok. On démarre une partie d'essai. Je cours très bien, je ne sais pas marcher (bizarrement ça colle avec la vraie vie). J'ai vite compris les boutons pour avancer et ramasser des objets mais avec la caméra je fais n'importe-quoi, je cours avec le focus sur mes fesses virtuelles, ça nous fait rire aussi parce que mon fessier va de droite à gauche hyper vite (dans la vraie vie c'est pas si sexy, enfin ça je ne le dis pas à mon fils). On remet la caméra dans une position plus facile pour voir devant soi et pas uniquement mon faux-boule qui tangue et qui me déconcentre. Je ne suis pas du tout dans la bonne direction.

« Pourquoi ya une direction spéciale à prendre ? »

« Ben oui regarde ta carte en haut ! »

Ah ouais... Il y a une carte avec une flèche, je suis à l'opposé du but.

« Maman, je vais arrêter la partie d'essai tu vas jouer en vrai parce que je sais que tu as envie de tirer sur des persos. »

« Ouais, et j'ai envie de leur donner des coups avec ma hache ! »

Hashtag hache, hash hash hash hash

Hashtag TTC (pardon je m'égare)

Il lance la partie, pour l'instant il n'y a personne autour de moi, je cours, je ramasse une arme et des balles, un piège.

« Je suis sûr que tu vas finir trentième ! » (Trentième c'est dernier, top 30 pour les initiés)

Il faut que j'assure, moi la bille en jeux, vue comme une bille par mon fils ! Un manos déboule dans mon champ de vision, coup de hache, Il tombe. Yeah !!!

Un autre manos derrière, j'ai envie de dire dans le casque que d'attaquer une femme par derrière c'est pas très classe mais je ne parle pas, j'essaie de régler ça avec les armes qui me sont allouées, la hache et le gun. Je vise et me prend une balle avant de pouvoir tirer. What the flûte, il m'a eu ce petit gougeât.

« Top 17 maman ! T'es pas nulle t'as vu ! »

Et le petit en haut qui crie : « Ouais maman ! Top 17 ! Moi j'ai jamais fait ça ! »

2 octobre 2017

Lundi matin...

 

Lundi

Lundi, premier jour d'une semaine qui s'annonce laborieuse.

Premier jour pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir se « reposer » le week-end ou plutôt profiter des moments de répits en dehors de l'hôpital. Avec ses proches, ses amis, sa famille ou seul pour savourer le fait de ne plus avoir qu'à s'occuper que de soi. Chacun ses occupations en dehors du lieu de travail. Ici on oublie ce qu'il se passe dehors car une fois passée la porte du vestiaire et une fois la blouse endossée on devient comme quelqu'un d'autre. Impossible de rester centré sur soi puisqu'il y a tant de choses auxquelles il faut être attentif. Écouter, observer, en parler, analyser, solutionner. Tant de problèmes à résoudre chez ces patients qui dépendent plus ou moins de nous. Être auprès d'eux pour les entendre et les soulager.

Soirée arrosée pour l'une d'entre eux, elle s'est tant éclatée à sa soirée qu'elle est tombée et s'est fracassé le coccyx... Accompagnée par de beaux pompiers tout n'est pas perdu, elle a profité de leurs bras musclés et de leurs jolis sourires dit-elle en riant. Je me dis intérieurement qu'elle ne perd pas le nord et que c'est une sacré fêtarde. Elle a raison, on n'a qu'une vie. Maintenant dans le lit à vomir à cause de la morphine c'est plutôt bien d'être dans l'autodérision et de rire de son propre sort.

Mon dos me lance à moi aussi mais peu importe, il faut courir chercher un « haricot » pour que la dame puisse vomir ailleurs que sur ses draps bleu délavés. Elle me remercie entre deux relents sonores qui me rappellent que je n'ai pas pris le temps de manger suffisamment au petit-déjeuner, une banane avalée à la va-vite entre mes deux cafés (chauds). J'ai à mon tour presque besoin d'un haricot, mais ça va passer.

Il faut aller voir le monsieur d'en face qui focalise sur les ordures. Pourquoi ? On n'arrivera jamais à le savoir avec Lucie qui a passé sa soirée de samedi en boite donc qui tourne un peu en mode auto-pilote mais qui gère comme une chef.

Moi je suis à rêvasser devant mon ordinateur qui plante toutes les deux minutes. Je pense à ce que quelqu'un m'a dit la veille, je souris toute seule et apporte à mes lèvres mon gobelet en plastique de café (froid). C'est pas possible je me trompe entre le café et l'aspirine que je viens de préparer pour notre ancien éboueur ! Pouarf.., Je ris toute seule encore une fois, va falloir que je me ressaisisse et vite sinon je vais finir par avaler les traitements de mes patients qui m'attendent.

Le monsieur déraille, ne mange rien, essaie de se lever sans arrêt alors qu'il ne tient pas debout.

Un autre patient a besoin de son aérosol, je me dépêche, il a une saturation plus que limite. Il est souriant derrière ses lunettes à oxygène qui l'ont gêné pour aller jusqu'au lavabo. « Le fil est trop court, je respire comme une patate ». Je regarde si les embouts sont bien placés, je mets mes doigts près de ses narines et ne sens pas le petit filet d'air froid qui devrait être perceptible puisque balancé à toute vitesse : six litres par minute. Je remonte du regard le tuyau.

« Et bien ça ne m'étonne pas que vous respiriez comme une pomme de terre, c'est débranché ! »

On met l'aérosol plein pot et c'est parti pour vingt minutes à respirer la terbutaline et à expectorer toutes les saletés qui lui détruisent les poumons. J’entends un « merci » à travers les glougloutements du masque placé sur son nez et lorsqu'il sourit, une fumée blanche s'échappe du masque, il appuie sur son masque et s'excuse. Je lui fait un clin d’œil et lui dit de ne plus parler.

Une dame n'a pas fait pipi depuis hier, je vais chercher la machine qui va calculer le nombre de millilitres d'urine qu'il y a dans sa vessie. Sachant que l'envie impérieuse d'aller aux toilettes se fait ressentir à environ 350 ml, je prie pour que le chiffre affiché soit inférieur à 300... Le suspense est insoutenable d'autant que viser la vessie à travers la peau du ventre ce n'est pas évident quand la patiente résiste et crie au moindre effleurement. 800... « Mer*e » va falloir poser une sonde urinaire, elle ne se laisse pas faire et j'ai plus que dix minutes avant les transmissions...

Matériel, gants stériles, sonde, poche, champ, seringue et eau... Mon record c'est sept minutes pour une sonde, je vais essayer de le battre. Bingo, six minutes plus tard c'est fait. Un monsieur qui est très lucide et pas du tout sénil me complimente : "Vous êtes belle, si vous vous présentez au concours de miss France je vote pour vous!"

Je la note celle-là, elle m'a illuminé ma journée. Dans le poste de soins en me lavant les mains j'ai regardé mes yeux, le droit entouré d'une bonne grosse coulure de mascara sans doute réalisée lorsque j'ai frotté mon oeil avec mon coude pendant la pose de sonde récalcitrante.

Un examen prescrit par mon interne préféré, un électroencéphalogramme (enregistrement de l'activité électrique cérébrale pour détecter une éventuelle épilepsie) que je dois faxer : "Conjusion post crise Tocinoclonique avec hémoparesie gauiche." Punaise il a fait quoi lui ce week-end?

Transmissions, encore une gazométrie à faire, un pansement, trois perfusions, le tour de midi, il est 12h45... Il va falloir que je me ressaisisse et que j'arrête de penser à ce week-end, mais vivement le prochain ! Ah non, je bosse...

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9 août 2017

À l'abordage !

Planche pirate

Trois nuits dans la semaine.

« C'est bien de faire les nuits, ça change, c'est plus calme. »

Certes ça change, on est un peu comme le capitaine du bateau, seul maître à bord, on s'organise à notre guise, on a moins de bruits parasites.

« Les gens dorment. »

Oui les gens dorment mais les angoisses et les douleurs se réveillent, elles. Et nous, les soignants et bien on peut être moins vigilent, l'organisme chamboulé par un rythme complètement anti-physiologique. On se couche à 8h voir 9h, on prend le petit déjeûner à 15h et le repas de midi à 19h, on commence à travailler à 20h45 avec un café post-prandial, jusqu'à 3h et là on peut (ou pas) se poser et dîner puis on retourne voir nos patients. Le tour qui se situe entre 4h et 6h du matin est le tour de tous les dangers, celui que tous les soignants redoutent car c'est là qu'on a le plus de surprises... Fait avéré, c'est dans ce créneau horaire que votre nuit, qui a été relativement calme, prend un virage à 180°.

Première nuit, on a du lourd, des gens agités à foison, dont Monsieur F. qui sept jours auparavant est tombé à son domicile. Traumatisme facial, sa tempe gauche présente une plaie de dix centimètres allant de l'oeil jusquà la commissure des lèvres. Sept points de suture, le bras gauche enserré dans une bande de crèpe tâchée de sang et d'un liquide non identifié. Il est retombé donc est revenu aux urgences, ses fils se sont arrachés, le médecin l'a de nouveau recousu.

« Il était un petit homme, pirouette, cacahuette

Il était un petit homme qui avait une drôle de maison, qui avait une drôle de maison

Sa maison est en carton, pirouette, cacahuette

Sa maison est en carton, ses escaliers sont en papier, ses escaliers sont en papier

Le facteur y est monté, pirouette, cacahuette

Le facteur y est monté, il s'est cassé le bout du nez

Il s'est cassé le bout du nez... »

Il est vieux Monsieur F., ilcommence à perdre sérieusement la tête, il ne comprend pas tout ce qu'on lui dit. Cependant il est gentil avec nous, il fait son traffic dans sa chambre. A 22h il avait mis son slip à sécher sur le chauffage éteint de la chambre. Debout en pyjama, on le guide pour qu'il aille dans son lit, il semble fatigué et ne tient pas bien sur ses jambes. Il est têtu, on met un temps fou à le rhabiller et l'installer, mais il est gentil.

Chambre suivante, un patient qui respire difficilement a du mal à brancher la machine qui l'aide à insuffler l'air dans ses poumons la nuit. Sans cette machine de ventilation, il se met en apnée durant son sommeil. Appareil volumineux pour un patient volumineux lui aussi. 127 kilos. Ma collègue et moi on est d'un côté et de l'autre du lit, on flêchit les jambes, on utilise la force des cuisses et des bras tout en gainant les abdominaux. Un, deux, trois ! On est parti à « deux », tout bon soignant qui se respecte part indéniablement à deux, le trois étant le cri de guerre qui nous donne l'impulsion finale pour contracter au maximum nos quadriceps de rugbymen.

Bon... On a gagné trois centimètres, c'est toujours ça...

« Il va falloir refaire mon pansement aussi, je l'ai perdu. » Je regarde la plannification, on m'a sans doute parlé d'un pansement quelconque aux transmissions mais j'ai dû penser à autre chose à ce moment, je ne me souvient plus où il a un pansement. Tulle gras : bourses. Bien, je vais chercher le matériel. La compresse inserrée dans l'endroit incongru tient tant bien que mal. Je cherche un peu par terre le tulle gras précédent qui s'est fait la malle lors d'un trajet laborieux lit-cabinet de toilette, je ne le trouve pas. Chambre suivante, on verra ça plus tard, d'autres attendent leur somnifère, ça commence à sonner dans tous les sens et on attend quatre entrées des urgences.

L'une d'elle arrive, qui fait quoi ? Marilyne va faire la paperasse, moi je vais prendre ses constantes et je continue le tour. Entre temps Monsieur F ; s'est relevé de son lit pour aller prendre son slip sur son fil à linge de fortune. Ledit slip (encore humide) enfilé sur une jambe et récalcitrant à l'idée de passer la deuxième va nous poser problème, je le sens... Ce slip a l'air d'obséder complètement notre petit monsieur.

On court dans la chambre et on évite ainsi la chute de justesse... On met un temps infini à retirer ce slip mouillé. Mince, la chemise est trempée. Chemise jetable des urgences, en une matière très peu absorbante, entre le sac plastique où l'on met ses légumes au marché et le mouchoir en papier. Je cours chercher une chemise en tissus en lançant littéralement la chemise trempée dans la poubelle la plus proche. Malheureusement, mon geste vif et bien trop ample sur ce bout de tissus qui n'absorbe rien a fait jaillir du pyjama de fortune une goutte d'urine venue s'écraser pile sur ma lèvre inférieure.

Tétanisation, choc, paralysie, je suis scotchée sur place, les yeux écarquillés, cri de dégoût. Maryline est pétée de rire. Je fonce dans le vidoir me savonner le visage puis me désinfecter à l'alcool la bouche. Il me faudra une semaine pour m'en remettre.

Trève de plaisanterie, la deuxième entrée arrive. On n'a toujours pas commencé la première et toujours pas fini le tour de 22h. On est à labourre, Monsieur F. n'est pas encore couché, mais il est gentil.

Je vois une lumière verte qui clignote sur mon téléphone. Message d'un collègue travaillant aussi cette nuit aux urgences psychiatriques à qui j'avais souhaité bon courage. « Ici c'est Beyrouth ».

Du courage il en faut. Que l'on soit sur le pont ou à la cale, les matelots sont malmenés... Petit mot qui fait plaisir, on voit qu'on n'est pas seul. Savoir que c'est aussi le bordel ailleurs ne rassure pas, c'est le message qui rebooste le moral. Solidarité, dialogue et entraide sont les clefs d'une garde réussie malgré les imprévus. Ces petits signes venant de la cale seront ma ventilation à moi pour ne pas me mettre en apnée sur le pont du bateau.

Allez on se ressaisi. Marilyne a attaqué les papiers, moi j'ai pris les constantes des patients. Il faut préparer les pilulliers, préparer les bilans sanguins de 6h, faire le ménage, vider les poubelles, enchaîner les rondes, s'occuper de ceux qui ne dorment pas. Le temps passe vite. On a à peine pu manger. Marilyne regarde le calendrier 2018 : « Oh c'est cool cette année Pâques tombe un lundi ! » On rit, on va mettre ça sur le compte de la fatigue. Moi j'ai égaré les feuilles de transmissions, après vingt minutes de recherche, elle les a retrouvées avec les feuilles de traçabilité du bio-nettoyage...

Voilà qu'arrive le tour tant redouté, le dernier, l'ultime, the last one ! Le monsieur avec sa machine qui l'aide à respirer est en vrac dans son lit. Flexion des jambes, contraction des grands droits, un, deux, TROIS !!!

Il est bien remonté cette fois, l'énergie du désespoir sans doute ravivé par la seule pensée que dans une heure nos collègues du matin vont venir prendre la relève. Je voit une saleté par terre, je la ramasse. Le tulle gras provenant des bourses que je n'avais pas trouvé tout à l'heure (et je n'ai pas de gant...)

La pile de bilans sanguins posée sur le chariot de soins, on commence à piquer, à réveiller ceux qui ont besoin de sommeil (encore plus que nous). « Bonjour, c'est l'infirmière, il est bientôt 6h, vous avez une prise de sang à faire ce matin. »

Compresses, sparadrap, gants, tubes, aiguilles dans le plateau, je vérifie que tout est bien coché sur le bon destiné au laboratoire. J'entend ronfler dans la chambre de Monsieur F. Marilyne qui valide les soins sur la plannification informatique me dit que c'est dommage de le réveiller pour une prise de sang, lui qui a mis tant de temps avant de s'endormir. Son ronflement est sonore, la porte est entrouverte. On voit un truc étrange dans l'entrebaillement de la porte, elle l'ouvre.

Il est par terre, le visage dans une marre de sang. Il est blanc comme un linge et il ronfle, trop, comme dans le coma...

Course jusqu'au service d'à côté, on appelle des renforts, constantes prises, il réagit un peu. Course vers le téléphone, l'interne de garde arrive. Draps au sol, on retourne Mr F. tant bien que mal sur le draps maculé de sang dorénavant, un deux, trois on le soulève et le remet dans son lit. La tempe droite est entaillé d'une plaie quasi-jumelle de celle sur sa tempe gauche. Sa peau est littéralement arrachée. Il faut des points. Course vers le poste de soins : compresses, anesthésiant, aiguille, fil, pinces, désinfectant, sparadrap... Et pendant ce temps l'équipe du matin arrive, les autres patients n'ont pas eu leur prise de sang, les sacs poubelles ne sont pas vidés (contrairement à nous).

Course vers le téléphone, il faut prévenir le scanner car le monsieur est tombé sur la tête.

On ne finira cette nuit infernale qu'une heure après l'heure officielle.

La suivante sera-t-elle mieux ? Une douche à 6h du matin car Madame R. s'est souillée ainsi que ses draps et ses murs, un petit tour à la cale pour aller chercher une ordonnance urgente, qui n'est jamais parvenue sur notre fax, un infarctus en direct... Monsieur F. qui n'a pas réussi à faire sécher son slip et que l'on est contraint d'immobiliser au lit car il a encore failli tomber... « Je ne veux pas la ceinture de sécurité, si je tombe vous n'avez qu'à faire un scanner et puis c'est tout ! ». Mais il est gentil...

« C'est bien de faire les nuits l'été, ça change, c'est plus calme. »

Le prochain qui me dit ça, je l'envoies aux requins sur la planche...

16 mai 2017

Les pieds dans le plat

Les pieds dans le plat 2

 

Mardi, 8h du matin.

Le service est calme, 8h c'est l'heure qui va déterminer l'ensemble de la journée. On a commencé à 6h30, à 8h on est « bien ». Exceptionnellement nous sommes trois, c'est rare, très rare, d'où le fait que nous soyons « bien ».

« Bien » ne signifie pas être en avance sur son travail non, cela signifie simplement être à l'heure et ça aussi c'est rare donc on savoure car, à 8h30, tout va s'accélérer : il va y a voir l'équipe médicale qui va pointer son nez, on va devoir présenter les patients, commencer la visite et donc les traitements, refaire les pansements, aider les patients à se laver et s'habiller. On en aura jusqu'à midi.

Il est 8h, on est « bien » pour une fois, on savoure nos minutes de répit avant le rush.

Lucie me demande où est ma tasse. Là, sur mon chariot, elle me sert un café, en fait de même pour elle et Pat'. On est trois, on est à l'heure, les patients boivent aussi leur café, on les laisse terminer tranquillement en buvant le notre, debout dans le couloir. Le sujet de la matinée c'est le célibat. On parle souvent de cela, du couple idéal, des histoires toutes plus « chelous » les unes que les autres à propos de nos amis, des films que nous avons regardé, voire de nous mêmes... Celui-ci a été marié quatre fois, celle-ci est seule depuis trente ans, un chagrin d'amour l'a brisée...

On en arrive à charrier Pat'. Fraîchement célibataire elle ne jure que par la liberté, elle préfère être seule.

« Roh !!! Faut pas dire ça, tu es jolie, il y en a forcément un qui va craquer pour toi ! »

« Nan nan, moi je suis bien toute seule, je ne me vois pas du tout de nouveau en couple, personne ne m'intéresse, puis bon, dur de trouver quelqu'un de bien. »

Lucie énumère quelques noms, des hommes qui travaillent avec nous mais rien ne convient à Pat'. Trop jeune, trop vieux, trop ceci ou trop cela... Je crois cerner un peu les goûts de ma collègue, on a un peu les mêmes centres d'intérêts. Lucie le remarque aussi et me demande.

« Ben tiens Karine, tu n'as pas un ami dans ton entourage qui pourrait plaire à Pat' ? »

« Carrément ! J'ai un copain qui a le même âge, un style sympa, col en V et cravate, rouflaquettes et tatouages. Pile dans tes goûts ! »

« Ouais mais non... » Me dit Pat', elle sourit.

J'aime bien l'embêter avec ça, on s'amuse bien. Je continue dans ma lancée :

« Il est sympa mon pote, puis il a un beau prénom. Christian. C'est beau Christian, c'est sexy, même plus que sexy, c'est sensuel, tu trouves pas que c'est sensuel ? »

Lucie renchérit :

« Grave ! Christian, oh oui, Christiannnnn ! »

On est morte de rire.

Le café est fini, 8h15, on va débarrasser les petits déjeuners, moi je vais terminer de prendre mes tensions, aller voir les gens qui avaient besoin de dormir un peu plus longtemps et préparer mes perfusions de 8h30.

Je pousse mon chariot qui bloque le passage vers le bureau et là... Assis tranquillement devant l'ordinateur avec la pile de dossiers des patients... Le chef de service qui vient remplacer notre doc. Il vient rarement mais quand il vient il arrive tout le temps en avance.

Il sourit.

« Bonjour, ça va Karine ? »

« Oui oui, très bien et vous ? »

Je suis morte de honte, son prénom, c'est Christian, et il a tout entendu...

27 janvier 2017

Et bonne année!

 

happy new year

27 janvier, il est encore temps de vous souhaiter une bonne année...

Année qui démarre bien, pour nous, soignants cotoyant des patients toujours aussi impatients, sympathiques, exigents, souriants, perturbés, douloureux, désorientés, inquiets, compatissants, parfois agressifs mais jamais franchement méchants.

Quelques petites perles sont déjà venues colorer ce début d'année, en fait ça ne s'arrête jamais, qu'on soit le premier janvier ou le vingt juillet. Il y a toujours cette fatigue physique et cette baisse de moral au fur et à mesure des jours qui vous plombe mais on peut compter sur quelques moments partagés avec nos patients qui font que vous ne renoncez pas. Instants qui font que vous savez pourquoi vous faites ce métier et pourquoi vous l'aimez, ce fucking métier.

La galette des rois partagée avec l'ensemble de l'équipe et les milliards de M&M's engloutis devant l'écran d'ordinateur en complétant les plannifications de soins n'y sont pas étrangères non plus. Des sucreries pour se booster, des petites réunions informelles pour rassembler l'équipe, des calories pour fédérer les objectifs : 2017 sera mieux que 2016 ! Vaste programme, on ne sait pas comment on va s'y prendre mais on est optimiste.

Premier dimanche de garde. Nous sommes un service un peu particulier, qui ferme ses portes le vendredi soir pour dispatcher les patients en attente de lits dans les différents services de l'hôpital et nous réouvrons le dimanche midi. Le dimanche est intense puisque nous faisons entre le midi et le lendemain midi, vingts « entrées » qui viennent des urgences. On s'apprête donc à avoir une charge de travail conséquente, mais en règle générale, nous aimons plutôt bien ouvrir le service puisque nous sommes un binôme infirmier / aide-soignant et ça roule plutôt pas mal. En fonction de ce qui arrive quoi !

Monsieur K., agité et respirant mal, ne garde pas ses lunettes à oxygène donc il faut aller sans arrêt dans sa chambre pour lui replacer les emboûts en plastique dans les narines. Sinon il devient violet et sort de son lit (sachant qu'il tombe tant que tant à la maison et se fait des plaies difficilement soignables étant diabétique de type I)

Madame T., a la grippe, 39° de température et reçoit ses filles dans la chambre qui ne supportent pas le masque donc ne le mettent pas... Explications, reformulations, que ne nie, elles dégustent leur café et muffins aux fruits rouges à cinquante centimètres des projections infectées de leur mère toussant à tout va. Deux jours plus tard, jour de la sortie de Madame T., sa fille téléphone et nous indique qu'elle ne pourront pas venir chercher leur mère, ni elle ni sa soeur car ellle ont... La grippe !

Monsieur M., était déjà là jeudi dernier, car il était confus, avec une pathologie chronique qui fait que de temps en temps, il déraille à la maison et peut se mettre en danger. À peine sorti de l'hôpital, le surlendemain, son infirmière à domicile constate qu'il ne va de nouveau pas bien. Elle l'emmène aux urgences et il revient chez nous. Un peu perdu dans sa chambre, il ne se souvient pas de moi qui l'ai pourtant pris en charge trois jours durant vingt quatre heures auparavant. Il tire sur les tuyeaux de ses perfusions, se lève et enlève les draps de son lit, va mettre sa serviette de bain dans les toilettes. Il faut surveiller ce qu'il fait et le recadrer toutes les trois minutes. Il est gentil, sourit beaucoup. Je m'aprête à lui poser les questions de routine de l'entretien d'accueil.

« Monsieur M., asseyez-vous tranquillement on va discuter un peu tous les deux. Voilà, là. Bien. Ça va chef ? Vous n'avez pas l'air très en forme. Pourquoi vous êtes venu à l'hôpital ? »

« Confusion ! »

Cette réponse improbable, si spontanée et tellement décalée par rapport à ce à quoi je m'attendais m'a fait sourire et a éclairé ma journée. J'adore ces moments là !

Ça sonne de tous les côtés, le téléphone, les chambres, encore le téléphone puis de nouveau un patient qui se trompe entre la télécommande et la sonnette.

Mais, l'ensemble du système de sonnettes a été rénové. Il n'y a plus ce « bip bip » aigu et criard qui vous déchire le tympan et vous fait lever de votre chaise en un quart de seconde, le quadriceps stimulé comme avec une décharge électrique de trois cent volt (d'où nos fessiers de rêve c'est bien connu). Maintenant nous avons droit à un son beaucoup plus moderne. Les décibels y sont toujours hein, il ne s'agit pas de s'endormir au son d'une douce mélodie, mais en plus de ce son voluptueux et profond qui cette fois vous fait vous lever avec plus d'ampleur (on ne vise plus uniquement les fessiers, on s'attaque au gainage, ils pensent à nous ces technocrates!) nous avons un écran tactile qui nous permet de lire d'où vient la sonnette : 101 appel lit porte, 107 appel WC (encore une erreur entre la sonnette et la chasse d'eau)... Ce petit écran disponible dans le bureau des soignants et même depuis la salle de pause est très pratique. On peut appuyer sur différentes fonctions et communiquer depuis cet écran disposant d'un interphone jusque dans la chambre sans se déplacer.

« Oui ? Vous avez sonné ? Il vous faut quelque chose ? »

Le patient de 86 ans, dans sa chambre, entend donc une voix venant de nulle part, presque sortie d'outre tombe, ne comprend pas et sonne de plus belle. Maintenant c'est l'alerte rouge, la sonnerie est plus rapide et ameute toute l'équipe ainsi que les autres patients... Quelle belle invention.

Autre fonction : l'annonce générale.

Flora et moi sommes dans notre bureau, à tapoter sur nos claviers et à grignoter des galettes de riz (Flora a décidé de « faire attention » et moi je suis dans l'objectif de perdre six kilos avant un trail en avril, ça démarre sur les starting blocks, ma balance affiche +2 depuis le 4 janvier).

Bref, le service est calme pour une fois, Flora regarde si les fonctions du nouveau système de sonnettes sont pratiques. Elle sélectionne l' « annonce générale » et répète plusieurs fois mon prénom dans l'interphone. Les familles présentes auprès de leurs proches viennent tous dans le couloirs devant notre bureau vitré voir ce qui se passe. J'ai l'impression d'être un poisson que l'on observe à travers la vitre d'un aquarium géant... Merci Flora !

Un jeune homme à la blouse blanche arrive et demande à voir un dossier. « Bonjour, vous hébergez Madame Machin pour nous, je peux voir son dossier ? Il y a un ordi dispo ? »

« Oui oui, chambre 127, son dossier est là, prends cette ordi ma collègue est partie faire son tour. »

Il s'installe, il y a une vieille dame que l'on soigne qui se promène dans le couloir à longueur de journée, elle fouille dans les seaux de ménage, sort les draps propres des armoires de linges pour les mettre directement dans les sacs de linge sales, fait son trafic et nous observe à travers la vitre de l'aquarium. Son regard est glacé, ses cheveux sont longs et jamais coiffés. Avec sa robe de chambre bordeau elle est un peu effrayante. On la laisse faire ses affaires sans trop y préter attention, sauf que quand vous êtes dans le bureau concentré sur un dossier, que vous levez les yeux et avez juste en face de vous, cette dame au regard froid, la cornée blanchie par une cataracte, les lèvres minces laissant apparaître des dents grises, ça peut surprendre ! Le jeune homme sursaute :

« Elle fout les jetons votre patiente ! On dirait qu'elle jette des sorts ! »

On rit dans le bureau, il prend un M&M's dans le bocal situé à sa gauche, puis un autre, et continue d'essayer de se concentrer sur son dossier. Il regarde les compte-rendus des scanners et autres radios concernant Madame Machin. Me dit que c'est très peu probable qu'elle aille dans son service, d'après lui ça ne relève pas trop de sa discipline. Je lui signale qu'on a deux Madame Machin, il explose de rire, il n'avait pas le bon dossier. Il reprend une poignée de chocolats. Ça nous est tous arrivé de confondre ces deux patientes. Heureusement on se rend vite compte de l'erreur.

La vieille dame est toujours devant lui, il sort son téléphone portable et tapote dessus. Là, début de la musique du film « l'exorciste ». Rire général. Il est drôle lui !

Il se replonge dans son dossier (le bon cette fois) et je m'atèle à la préparation de mes étiquettes de soins pour mon tour de midi.

Il a besoin d'une agrafeuse. Je lui tends notre agrafeuse high-tech, celle où l'on a juste à introduire les feuilles de papiers et comme par enchantement, un micro rayon laser détecte la feuille et l'agrafe vient perforer le papier sans qu'une action mécanique ne soit nécessaire. Émerveillement : « Elle est géniale votre agrafeuse ! Quelqu'un a déjà essayer de mettre sa langue dedans ? »

« Nan, trop gros la langue, mais un prépus ça peut passer je pense... »

Rire général. Oui, nous sommes très premier degré parmis les soignants et souvent notre humour se place en dessous de la ceinture...

Un chef du même service que lui arrive. « Bonjour, je viens voir Madame Machin qui est hébergé pour nous. »

« Ah ben l'interne est déjà là, il est avec son dossier. »

« L'interne ? » Il rit de bon cœur et tape sur l'épaule du gars en blouse blanche. « L'interne ! Et tu te laisses traiter d'interne ! Il est pas interne il est médecin ! »

Mes étiquettes sont terminées, je sors du bureau morte de honte. Résolution numéro un pour 2017 : regarder l'étiquette apposée à la blouse des soignants avant de proposer aux gens de mettre leur prépus dans l'agrafeuse du service...

 

25 décembre 2016

Joyeux Noël

Neighbour

Vendredi 23 décembre.

14h30, je sors du travail. Je dois aller chercher les enfants chez ma belle-mère. C'est à 25 kilomètres. Dans un trou paumé. Il y a la voie express ce qui me permet de rouler assez vite et de pouvoir admirer la mer en passant un pont immense accédant à la presqu'île. Ce temps de trajet est aussi le temps qui sert de sas de décompression. Je m'organise intérieurement. Les courses pour le réveillon de Noël sont faites, manque plus que deux ou trois petites choses. Ce soir j'attaquerai le ménage de la maison, demain matin je me lève un peu plus tôt qu'un samedi ordinaire et je commence à préparer les plats qui peuvent être avancés. Ensuite encore du ménage, beaucoup de vaisselle puisqu'il faudra laver la vaisselle qui ne sert qu'une fois par an, les flûtes en cristal et les couverts en argent. Bref, samedi sera chargé...

Pont passé, encore un petit bout de voie express pour accéder au hameau composé de deux maisons seulement. Pour y descendre il faut prendre à droite après une grande maison blanche un peu sale où est posée depuis plus de trente ans une vieille sur le muret qui devance la demeure. Elle regarde ma voiture fixement, dans sa tête fusent tout un tas de méchancetés, ça se lit dans son regard froid et perçant. Elle a toujours un journal dans les mains mais ne le lit jamais. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il fasse trente degrés (rare ici!), elle est là, les fesses posées sur son muret, telle une poule sur un mur, qui picorait du pain dur, picoti, picota... Elle ne s'en va pas.

Je mets mon clignotant à droite et ralentis beaucoup car le chemin qui descend jusqu'au hameau est un mélange de terre et de caillasse, peu praticable quand il pleut des cordes. Là il ne pleut pas, c'est plutôt clair à travers le toit panoramique de la voiture.

Arrivée en bas, je constate que les voisins de ma belle-mère ne sont pas là. Ils ne sont jamais là. C'est un couple dont le monsieur est marin, ils n'ont pas d'enfants. La maison est tout le temps vide. Ils sont à droite à gauche : Réunion, Martinique, Afrique... Parfois ils louent cette maison mais les locataires ne restent jamais. Le dernier laissait tout un tas de pots de fleurs sales et de sacs poubelle devant la maison ce qui m'empêchait de me garer devant. Là, il y a encore quelques sacs vides mais de quoi passer. Je me gare devant. Ça ne gènera personne, la maison a l'air sans vie.

Je sors de la voiture, prends les deux sucettes que j'ai caché dans mon sac la veille pour faire une surprise à mes deux petits garçons, je remets mes clefs de voiture dans la pochette où étaient les sucettes. Inutile de fermer les portes de la voiture, j'en ai pour cinq minutes.

Les enfants courent me rejoindre dans le jardin, ils sont excités, demain c'est Noël !

« Tu as vu le père Noël maman ? » me demande le plus petit avec un grand sourire. Le grand qui ne croit plus à ça lance un petit « Pff, c'est pas aujourd'hui qu'il doit venir c'est demain ! ».

Je suis contente de voir qu'il joue le jeu mon grand garçon pour que son petit frère profite à fond de ces années de magie.

« Non je ne l'ai pas vu mais j'ai un petit quelque chose pour patienter, quelle main ? »

« Celle-là ! » Me dit mon plus jeune.

« Moi celle-là » Me dit l'autre tout aussi content que le petit.

« Gagné tous les deux ! »

Il y a une sucette à la fraise et une autre au cola, ce qui a suscité une mini-guerre pour savoir qui aurait celle au cola mais le petit a capitulé aux menaces du grand qui lui a dit que le cola faisait les dents noires sur les moins de six ans.

Ma belle-mère sort de la maison, on discute quelques minutes sur le pas de la porte. On s'organise pour le lendemain. Je fais l'apéro, elle le plat principal, la tante rapportera la bûche et la belle-soeur des bouteilles. 20H30 ? Ok.

Et le dimanche, le lendemain, les petits retourneront chez elle car ce sont les vacances et comme je travaille à 6h30 le lundi, ce sera plus simple qu'ils aillent passer quelques jours chez elle. D'accord. Je dois aller chez ma sœur le dimanche prendre un goûter et donner leurs cadeaux à mes nièces, ensuite je les déposerai.

Retour à la maison, on repasse devant la vieille qui nous regarde avec son air mauvais. Les petits en ont peur, on se demande ce qu'elle fait là toute la journée à regarder passer les trois voitures à l'heure qui empruntent cette route. Au final c'est plutôt triste. Mais il me semble en avoir parlé avec plusieurs personnes qui résident non loin de cette grande maison blanche sale et elle a toujours vécu ainsi, sur son mur à regarder les gens passer en voiture, en vélo, en scooter... Une folle, mais pas méchante. Ensuite on passe le grand pont, les enfants sont toujours émerveillés par le paysage, différent à chaque passage, là, il fait un temps plutôt clément, on voit tout en bas les minuscules véliplanchistes qui bravent le mois de décembre. Encore une quinzaine de kilomètres et on sera rentré. La sucette à la main, les enfants ne disent pas un mot. C'est calme, le calme avant la tempête, le calme avant le passage du père-Noël...

Le week-end se passa comme prévu : ménage de fond en comble le vendredi en fin d'après-midi et début de soirée. Cusine et ménage encore le samedi matin. Dressage de la table et repas en grande pompe le samedi soir.

Vers 22h, on toque à la porte. Mystère, qui est-ce ? On laisse le plus petit aller ouvrir la porte. Ce n'est pas la bonne porte, ça re-toque plus fort. C'est à la porte du jardin, c'est lui ! Le père-Noël ! Chargé de cadeaux pour tout le monde : des circuits, de la pâte à modeler, des gants de gardien de but, des jeux de société, des trucs à construire etc etc... Je ne sais même plus tout ce qu'il a rapporté tellement il y en avait. Preuve que les enfants ont été très sages. À mon avis il a dû aller dormir pas mal de fois ce père-Noël et a manqué quelques épisodes mais ce fût tellement chouette de voir les enfants si heureux de leurs cadeaux !

On a tout de suite joué avec les cadeaux, jusqu'à une heure du matin, les enfants étaient hors-service. Une bonne nuit de plomb jusqu'à 11h le dimanche.

À peine le temps de jouer encore un peu avec les cadeaux, se laver, s'habiller et prendre un déjeuner-repas de midi qu'il a fallu repartir chez ma sœur pour avoir encore d'autres cadeaux, manger encore des super gateaux. J'adore Noël. Les enfants sont si heureux, et les grands aussi !

17h, je devais être chez ma belle-mère pour 16h. Pas grave, j'envoies rapidement un texto pour confirmer notre retard.

Les enfants sont allés courir dehors. Aujourd'hui le temps est beaucoup moins beau, il y a du crachin, le ciel est gris, les nuages sont bas. Ça ne les a pas emêcher d'aller faire une bataille de pistolet avec des balles en mousse dans la pelouse et de tremper leurs chaussures jusqu'aux chaussettes. Mais ils se sont amusés, ont éliminé un peu des vingt-cinq morceaux de gâteaux qu'ils ont engloutis depuis hier soir.

Manteaux trempés, chaussettes idem, on monte dans la voiture et on prend la route vers chez ma belle-mère.

Voie express, pont immense : zéro véliplanchiste à l'horizon ; juste un temps gris et chargé. Ça sent la fin des festivités. Il n'y a pas un mot dans la voiture malgré moi qui essaie de leur dire que les fêtes ne sont pas finies, qu'il y a encore le Nouvel An et une semaine de vacances.

« Mais c'est nul le Nouvel An, y'a pas de cadeau ! »

« Mais si c'est bien, on ne va plus écrire 2016 dans les cahiers à l'école, on va devoir écrire 2017, tu vas voir ça va être rigolo, tout le monde va se tromper ! »

« Ouais, super... »

On arrive à la grande maison blanche sale. Bizarre, la vieille n'est pas à son poste. Première fois que ça arrive en dix ans. Les enfants inventent des histoires qui auraient pu arriver :

« Le père-Noël l'a kidnapée, elle s'est étouffé en mangeant des huitres ou alors elle a glissé sur une petite voiture et elle est à l'hôpital ! »

On rigole de ces scenarii. On descend le petit chemin boueux et caillouteux par ce temps de pluie, ça patine un peu. J'espère qu'il n'y aura personne chez les voisins de la belle-mère. Je pourrais me garer devant leur maison, ça m'évitera de me mettre dans la petite cuvette pleine de boue au niveau du portail. Il n'y a personne. Je fais un créneau et roule sur un sac poubelle rempli de bouteilles en verre. Il n'y était pas hier je crois. Pourtant je regarde vite-fait à travers la porte-fenêtre des voisins et pas une once de vie. Les rideaux ou plutôt le morceau de tissus qui masque l'intérieur est me semble-t-il exactement comme il était hier. Bref, si quelqu'un est géné par la voiture, il n'aura qu'à venir toquer chez ma belle-mère, je bougerais la voiture. De toutes façons, je n'en ai que pour dix minutes à peine.

On rentre dans la maison surchaufée, il y a la cheminée qui est allumée et le sapin avec encore des cadeaux à ses pieds. Les enfants sont de retour très excités à la vue des paquets bariolés. Ils n'ont même pas enlevé leurs chaussures trempées qu'ils sont déjà en train d'essayer de deviner à qui appartient quel paquet.

« Nan toi tu es petit donc tu as les petits ! »

« Nan ! Hein maman les petits ils ont le droit d'avoir des gros cadeaux aussi ? »

Mini-guerre, encore une, ce n'est que la huitième du week-end. Je les fais changer leurs pantalons et leur mets des chaussettes sèches. Une petite photo devant le sapin et ils ont le droit de prendre leurs paquets. Deux gros et un petit chacun. Qu'on ait huit ans ou quatre et demi, les cadeaux sont équivalent, en valeur et en taille. Ils ne m'écoutent pas, trop presser d'ouvrir leurs paquets. Comme c'est le Noël de ma belle-mère, je m'éclipse avant qu'ils n'aient découvert le contenu de leur paquet.

Un peu maussade, je pars rejoindre ma voiture. Ça y est, le Noël 2016 est passé, en un éclair. Demain et cinq jours durant je travaille à 6h30 donc debout à 5h.

Ça va leur faire du bien de passer quelques jours avec leur grand-mère. Moi je n'aurais pas pu m'en occuper, ils auraient dû aller au centre de loisirs et ils n'aiment pas trop ça.

Je cherche mes clefs de voiture dans ma veste, elles n'y sont pas. La porte émet son « clic » quand j'attrappe la poignée, bingo ! Elles sont sur le contact. Ça m'évitera de retourner dans la maison.

Petit moment de nostalgie quand je m'assois dans la voiture. Je me mets en route et me dit que j'ai oublié de mettre ses gants de gardien de but dans le sac de mon grand garçon. Il va m'en vouloir, il voulait s'entrainer...

Passage devant la maison de la vieille qui n'est toujours pas là, elle aurait pu quitter son poste d'observation et aller aux toilettes, ça doit lui arriver ça de temps en temps non ? Je ris intérieurement en pensant qu'en dix ans, nous sommes à chaque fois passer devant chez elle et jamais nous n'avons vu ce muret vide. Jamais nous ne sommes passé quand elle était aux toilettes. C'est fou ça ! Une vieille ça fait souvent pipi... Je pars dans mes pensées, des petites histoires croustillantes se déroulent dans ma tête et deviennent de plus en plus sombres.

Je ralentis pour pouvoir essayer de voir s'il y a quelqu'un dans la grande maison blanche sale, personne, même pas de lumière, je me tords limite le cou pour tenter de déceler une once de vie dans cette maison glauque. Si ça se trouve le mec qui squatte la maison des voisins de ma belle-mère est revenu cette nuit, il a bu et il a tué la vieille ?

Rien. Je me remets en place sur mon siège et au moment ou je me cale sur le dossier, je sens une main m'attrapper par le cou.

6 décembre 2016

Brûlée

K

« Et bien bon courage hein ! » Me dit l'aide-soignante qui a accompagné Madame K. Juste avant qu'elle ne monte dans le service, on m'avait téléphoné pour m'annoncer son arrivée. Femme jeune, mais qui ne parle pas, vraiment pas aimable. Son mari est avec elle, lui il est « cool »

 

Madame K. 39 ans, rentrée pour des brûlures au troisième degré sur les deux mains. Pas de détails sur son dossier, peu d'antécédents, juste deux : dépression et alcoolisme chronique. Un enfant de neuf ans, mariée, vit en appartement. Elle est infirmière en arrêt maladie depuis deux ans.

Pas plus, pas moins, je vais devoir procéder à l'entretien d'accueil. Ça va aller vite. Je programmerai les pansements, lui poserai ses perfusions pour qu'elle ne ressente pas le manque d'alcool, lui proposerai de la morphine car ses mains doivent lui faire horriblement mal. Elle en a eu aux urgences, une dose conséquente. Elle doit être fatiguée.

 

Je frappe à la porte, pas de réponse, je rentre quand-même, je n'aime pas quand ils ne répondent pas, je rentre dans ces cas là toujours un peu trop brusquement. Ils sont trois dans la chambre, elle, son mari et son fils, assis tous les deux sur la table qui borde la fenêtre, elle, dans le lit. Elle ne me regarde pas, ne répond pas à mon « bonjour » trop fort je m'en rends compte après coup.

Le garçon dit bonjour mais ne me regarde pas non plus, il regarde son père qui lui, sourit.

« Je suis l'infirmière, je viens pour voir comment vous allez Madame, je vais rester un peu dans la chambre, votre mari et votre fils peuvent rester, ça ne me dérange pas. C'est comme vous voulez. »

Pas de réponse, elle regarde son mari et attend qu'il parle. Toujours souriant il me dit qu'il reste.

Bien, je commence par poser le brassard à tension sur le bras de la dame, elle se laisse faire, j'observe ses réactions pour voir si à la mobilisation je ne lui fait pas mal aux membres supérieurs. Apparemment non. Elle a les yeux posés sur le brassard. Je ne peux pas mettre la petite pince qui sert à mesurer sa saturation en oxygène sur ses doigts, ils sont recouverts de gros pansements, deux énormes bandages qui pansent ses brûlures, aux deux mains.

Étrange de se brûler les deux mains en même temps. Bref, je mets la petite pince sur l'oreille de Madame K. qui pour le coup a une drôle de tête, elle fait un clin d’œil à son fils. Ça le fait sourire, je souris aussi car ça me plaît de voir enfin une expression sur le visage de cet enfant.

 

« Ça vous est arrivé comment ? »

« Je me suis brûlée en cuisinant. »

 

Puis plus rien, silence radio, sa voix est grave, son ton est lent. Je me tourne vers son mari, il se met à rire et à me dire « C'est dangereux la cuisine ! »

Je comprends que je n'en saurais pas plus. Je reviens sur les questions de base que nous posons à l'entrée des patients : mode de vie, situation familiale, professionnelle. Elle répond par oui ou par non, pas des phrases de deux mots maximum. Au moment où j'évoque les traitements elle me parle de dépression et de son traitement pour soigner son alcoolisme mais reste évasive et ne prononce pas le mot alcool. Elle me dit juste : « Vous êtes infirmière vous savez ce que ça soigne. »

En effet oui, je sais à quoi sert ce traitement. Je sens bien que ce n'est pas le moment de parler de cela. Son mari a les lèvres pincées et il me lance : « Elle ne prend plus son traitement depuis trois mois, du coup elle a recommencé. » Son regard est fixe, sur son épouse qui elle observe ses mains. Le petit regarde ses chaussures puis mon chariot. Il y a la perfusion dessus et ça a l'air de beaucoup l'intéresser.

Gênée je prend la perfusion et l'accroche au pied à perfusion, je m'adresse au gamin en lui expliquant que dans cette poche il y a tout ce qu'il faut pour que sa maman n'ait pas mal et en plus des vitamines pour qu'elle puisse rentrer au plus vite chez eux. Il hoche la tête puis esquisse un sourire.

Son père se lève et tape dans ses mains : « Allez hop, nous on y va, demain il y a école. On va laisser maman avec l'infirmière on reviendra demain. »

Le garçon se lève et va embrasser sa mère. Seul moment depuis son arrivée où j'ai pu voir le visage de cette femme s'éclairer un peu. Elle a pris son fils dans ses bras et l'a serré très fort, elle fermait les yeux et le gamin aussi. Le père rangeait quelques affaires dans un sac plastique. L'étreinte de la maman et de son fils fût interminable. Je suis sortie de la chambre car je n'avais plus rien à demander, je reviendrai dans cinq minutes après qu'ils se soient dit au revoir.

En sortant je suis restée non loin de la porte dans le couloir pour ramasser un bouchon de tubulure qui s'était évadé de ma poubelle. La voix du mari jovial s'était faite plus dure : « Bon, c'est bon maintenant, on rentre. Et toi, tu dis rien, sinon la prochaine fois c'est ta gueule que je colle sur la plaque. »

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